Adrien Morenas, député LREM : «La fachosphère est une minorité agissante et bruyante»

Adrien Morenas, député LREM du Vaucluse, est le rapporteur de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France.
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire consacrée à la lutte contre les groupuscules d’extrême droite, que révèle Le Parisien-Aujourd’hui en France ce vendredi, offre une photographie inédite de cette France de la contestation radicale. Adrien Morenas, député LREM du Vaucluse et rapporteur de la commission d’enquête, livre son analyse sur le mouvement de l’ultra-droite.
Que représente aujourd’hui l’ultra-droite en France ?
ADRIEN MORENAS. Le nombre de militants varie entre 1 500 et 3 000 au total, répartis en cinq grandes familles : les néonazis et les skinheads, les néopopulistes, les ultranationalistes, les identitaires et les survivalistes. Parmi eux, un noyau dur d’un millier de personnes est susceptible de se livrer à des faits de violence. Il faut y ajouter de 1 000 à 2 000 sympathisants pouvant participer à des rassemblements sans pour autant être en capacité de passer à l’acte. Les places fortes de l’ultra-droite sont bien identifiées : Lyon, Nice, le Grand-Est, le Sud-Est, l’Hérault et les Hauts-de-France. Ces mouvances, atomisées, minées par des querelles de chefs, tentent de se structurer.
Quelle part ont pris ces groupuscules dans la crise des Gilets jaunes ?
Même s’ils se disent Gilets jaunes, qu’ils se reconnaissent dans leur colère et qu’ils ont tenté d’infiltrer le mouvement, ils ont finalement été tenus à distance…
Comment s’effectue le recrutement ?
Les chefs sont souvent issus de classes aisées, la base de milieux populaires. Leur recrutement intervient par solidarité familiale – un grand-père, un père, un oncle – relationnel, scolaire ou universitaire… Les militants passent à l’occasion par des « stages de sport et de réflexion », en réalité des camps d’entraînement dans des lieux privés. Le matin, on discute stratégie. L’après-midi, on libère les jambes… Depuis plus de dix ans, le socle des effectifs reste stable. En revanche, avec Internet, leur audience dans le débat public s’est considérablement accrue.
Cela correspond-il à une stratégie ?
N’ayant pas accès aux médias traditionnels, ces mouvances ont été les premières à investir massivement les réseaux sociaux de façon active et organisée. Aujourd’hui, elles se déploient sur l’ensemble des plates-formes numériques. Comme certains forums ou espaces collaboratifs très prisés des jeunes tels Agora vox ou jeuxvideo.com. Ce qui n’est pas si différent des modes d’approche des djihadistes… La « fachosphère » dispose d’une capacité de mobilisation exponentielle. Elle s’est imposée comme une minorité agissante et bruyante. Elle crée le buzz, manipule l’opinion en amplifiant la visibilité et la résonance de certaines informations. Quitte à les fabriquer.
Et sur le terrain ?
Là encore, de nouvelles stratégies émergent, exploitant l’idée d’un Etat défaillant dans l’exercice de ses missions. Les groupuscules de l’ultra-droite ne se présentent plus comme des agresseurs, mais comme des défenseurs. Ils disent protéger le « peuple français » de la « racaille », des migrants, de l’islam… Ce nouvel activisme prend la forme de distribution de soupes populaires avec le Bastion social à Strasbourg ou de « maraudes anti-racaille » dans le métro à Lille par Génération identitaire.
La commission a auditionné la plupart des leaders de ces groupuscules. N’y a-t-il pas un risque à leur donner une tribune ?
C’est pour cette raison que nous avons choisi d’effectuer ces auditions à huis clos. Mais pour agir, le législateur et le parlementaire ont besoin de comprendre ce qui anime les membres de ces groupuscules, la manière dont ils s’organisent. La quasi-totalité a répondu à nos convocations. La plupart ont tenu devant nous un discours lissé, nourri d’éléments de langage, notamment sur la théorie du grand remplacement (NDLR : la substitution de la population française par des immigrés non européens, provenant du Maghreb notamment.)
Que préconise votre commission ?
Nos 31 recommandations recouvrent un large spectre. Nous demandons par exemple un rapport annuel au Parlement par les ministères de la Justice et de l’Intérieur sur les groupes subversifs violents afin de disposer de statistiques précises sur les actes criminels et délictueux qui peuvent leur être imputés. D’un point de vue législatif, nous proposons de modifier un alinéa du Code de la sécurité intérieure afin de permettre la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait sur le simple motif de l’appel à commettre des violences en groupe. Enfin, et cela est très important pour endiguer l’expansion de la propagande nauséabonde sur Internet, il convient de créer des chambres pénales spécialisées dans le traitement des infractions relatives au racisme, à la discrimination, à l’antisémitisme. Aujourd’hui celles-ci sont jugées comme des délits de presse.